Un « cerveau dangereux » ? Analyse du pouvoir explicatif de la neurocriminologie
Marie Penavayre  1@  
1 : Sciences, Philosophie, Humanités  (EA4574 SPH)
Université de Bordeaux, Université Bordeaux Montaigne

Depuis le développement des premières techniques d'exploration cérébrale, on observe une multiplication exponentielle des travaux s'intéressant aux applications juridiques des neurosciences. Dès les années 1940 dans le milieu anglo-saxon, des études proposent d'utiliser l'électroencéphalographie (EEG) comme un instrument de connaissance du sujet criminel, en associant la présence d'anomalies cérébrales avec la manifestation d'un comportement violent, agressif ou antisocial. Ces travaux ont contribué à fonder un domaine de recherche en plein essor – la neurocriminologie – dont les résultats s'articulent autour de la construction d'un « cerveau criminel » comme un « cerveau anormal » : la figure anthropologique de « l'individu dangereux » est réduite à un « cerveau monstrueux ».

À travers une analyse conceptuelle et méthodologique des travaux publiés dans ce domaine, nous montrerons que la neurocriminologie s'inscrit dans la continuité de la phrénologie et de la criminologie du XIXe siècle. Les stratégies de recherche mises en œuvre pour étudier le cerveau des criminels relèvent d'un raisonnement phrénologique, et contribuent à réhabiliter des concepts clés issus des thèses de Franz Joseph Gall (1758-1828) et de Cesare Lombroso (1835-1909). Nous insisterons en particulier sur la filiation avec la criminologie de Lombroso, car la réactualisation de ses thèses révèle l'essentiel de la finalité recherchée par la neurocriminologie. Les choix méthodologiques et la terminologie employée dans l'interprétation des résultats témoignent d'une conception psychopathologique du comportement criminel, qui vise à définir l'individu dangereux comme un « cerveau à corriger ». Par ailleurs, nous montrerons que cette logique interventionniste est confortée par un postulat innéiste qui limite considérablement le pouvoir explicatif de ce programme de recherche. Le principal obstacle épistémologique réside dans la circularité d'une démarche condamnée à confirmer des présupposés hérités de la phrénologie et de l'anthropologie criminelle italienne, sans produire de véritable explication des phénomènes étudiés.


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